Agir avec nous

image
L’histoire du franc CFA

25 mars 2025

L’histoire du franc CFA

icone

De la création aux indépendances


Créé dans le sillage des accords de Bretton Woods, le franc CFA (Communauté financière africaine) incarne l’une des plus longues survivances du système colonial dans l’Afrique post-indépendance. Conçue pour assurer la stabilité monétaire des territoires sous domination française et garantir un certain niveau de vie aux colons vivant sur ceux-ci, cette devise favorisait également les importations françaises et la signature d’accords de coopération. Elle a traversé les décennies en dépit des indépendances politiques, nourrissant un débat houleux sur la souveraineté économique des États africains.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France, engagée dans la reconstruction de son économie, entend préserver son empire colonial. Le décret du 26 décembre 1945 instaure le franc des Colonies françaises d’Afrique, qui ancre les économies africaines à la métropole via un fonctionnement et des prérogatives spécifiques. En premier lieu, la parité fixe, c’est-à-dire le taux de change fixe entre le franc CFA et le franc français, qui lie intrinsèquement les territoires africains aux variations de la monnaie française et garantit la libre convertibilité des devises. Mais cette stabilité monétaire a un revers : les Etats utilisant cette devise doivent déposer une part significative de leurs réserves de change sur un compte d’opération géré par le Trésor français, donnant à Paris un levier décisif sur leurs politiques économiques et monétaires.

L’accession à l’indépendance dans les années 1960 ne modifie en rien cette architecture. Deux unions monétaires sont mises en place : l’Union économique et monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), dotées de leurs propres banques centrales (BCEAO et BEAC), mais toujours soumises aux mêmes contraintes structurelles.

Si l’adossement au franc puis à l’euro en 1999 assure une faible inflation et rassure les investisseurs, il empêche les États concernés de se servir de la politique monétaire comme instrument d’une politique économique. La parité fixe crée un mécanisme d’arrimage des économies africaines à celles de la zone euro, alors que les réalités macroéconomiques de ces deux zones diffèrent en tout point. Le franc CFA constitue une monnaie forte -puisque l’euro est fort, c’est-à-dire qu’elle augmente le pouvoir d’achat de biens étrangers mais diminue la compétitivité des produits domestiques ce qui entrave la diversification des économies locales et les possibilités d’exportations en dehors de l’UE.

Le choc de 1994

À la suite des multiples difficultés rencontrées depuis les années 1980 – crise mondiale de la dette, chute des matières premières, hausse des taux d’intérêt- et sous la pression du FMI et de la Banque mondiale, la France prend unilatéralement la décision de dévaluer de 50 % le franc CFA le 11 janvier 1994. Le taux de change passe ainsi de 1 franc français pour 50 francs CFA à 1 pour 100, provoquant une flambée du prix des importations et précipitant des millions d’Africains – en particulier dans les centres urbains – dans la précarité. Sous couvert de relancer la compétitivité des économies locales, cette dévaluation s’inscrit avant tout dans le cadre des injonctions des bailleurs internationaux, sans jamais interroger les fondements mêmes du système CFA ni remettre en cause sa logique de dépendance structurelle.

Les critiques du franc CFA

Les critiques du franc CFA ne datent pas d’hier. Dès les premières années post-indépendance, certains États prennent leurs distances : la Guinée en 1960, le Mali en 1962 et Madagascar en 1973 font le choix de frapper leur propre monnaie. Mais ces initiatives s’avèrent fragiles, au point que Bamako, confrontée à de graves difficultés économiques, réintègre la zone franc CFA en 1984. Symbole de cette opposition, Thomas Sankara, président du Burkina Faso entre 1983 et 1987, fut l’un des rares chefs d’État à s’attaquer frontalement au franc CFA, qu’il qualifiait d’outil de domination néocoloniale. Son assassinat, dans lequel l’éventuelle implication de la France reste une question sensible, aura in fine préservé les intérêts économiques de l’ancienne métropole.

Sous la pression des critiques, quelques ajustements sont opérés : depuis 2019, la France n’a plus accès aux réserves de change de l’UEMOA. Un changement plus cosmétique que structurel, estime l’économiste Xavier Dupret, soulignant que des représentants français siègent toujours à la BCEAO.

Conscient de la montée des contestations, Paris annonce en décembre 2019, avec ses partenaires ouest-africains, la future disparition du franc CFA au profit d’une nouvelle monnaie : l’ECO. Officiellement, cette réforme mettrait fin au compte d’opérations et à la présence française dans les instances de gouvernance, mais maintiendrait la parité fixe avec l’euro. Derrière l’effet d’annonce, l’ECO apparaît davantage comme un ajustement symbolique qu’une véritable rupture. En Afrique centrale, aucune réforme similaire n’est pour l’heure engagée, illustrant la résilience du statu quo monétaire.