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28 novembre 2023

Pérou, Bolivie, le QUINOA victime de son succès

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Les consommateurs européens paient-ils le quinoa à un prix juste ? La production croissante de quinoa partout dans le monde est-elle inéquitable pour ses producteurs originels en Bolivie et au Pérou ?

10 ans après, le bilan de l’année internationale du quinoa

À la fin de l’année 2011, la Bolivie parvenait à convaincre les Nations unies et son organisation pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), de proclamer l’année 2013 Année internationale du quinoa. Dans l’esprit des dirigeants boliviens de l’époque, il s’agissait de consacrer la richesse de cet aliment traditionnel, tout en protégeant les ressources génétiques d’origine andine qu’il représentait.

Il y a en effet eu un véritable boom de cette culture dès l’année 2014, avec à la fois des pics de production et de valeur. Mais ce succès a été de courte durée, du moins dans les deux principaux pays producteurs, la Bolivie et le Pérou.

Au niveau international, le succès du quinoa a continué. Au fil du temps et à des échelles différentes, plus de 120 pays ont investi dans sa production. La France, l’Espagne et le Canada se sont lancés avec conviction, générant ainsi une plus grande compétition sur les marchés internationaux, même si le Pérou et la Bolivie restent leaders en termes d’exportations (74% au total en 2019).

Cette extension géographique de la production du quinoa a entre autres été possible grâce à des études sur le génome de la plante pour obtenir des variétés plus adaptées à des climats tempérés. L’Université d’Arabie saoudite roi Abdallah pour les technologies du sol a notamment mené des travaux importants en la matière… Ces recherches s’inscrivent bien évidemment dans un cadre économique qui peut s’avérer très négatif pour les zones de production d’origine. 

Le succès du produit vient essentiellement de sa richesse nutritionnelle (protéines et fibres, absence de gluten). Si bien qu’en 2023, le marché mondial du quinoa représente l’équivalent de 1,18 milliards de dollars [1].

Le Pérou et la Bolivie affaiblis

En 2023, la situation au Pérou est préoccupante [2] et menace de toucher les quelques 115 000 familles concernée par le quinoa. Une sécheresse persistante, un mauvais étalement des pluies et le prix très élevé des fertilisants ont limité drastiquement les superficies semées. Le pronostic probable de production est de l’ordre de 79 000 tonnes, soit une diminution de 30% par rapport à 2022.

Mais c’est la chute de la valeur de la production qui est spectaculaire ! Après un pic à 40 dollars le kilo en 2014, les prix se sont effondrés pour s’établir à 1,95 dollars le kilo en 2022 (valeur FOB, free on board pour l’export), tandis qu’en bord du champ, le kilo se négociait en 2022 à 1,06 dollars le kilo.

Malgré cela, le Pérou est depuis 2014 le principal producteur et exportateur de quinoa, devant la Bolivie.

Le crash bolivien

La Bolivie est le pays du quinoa royal [3] , la variété la plus renommée du plant. La principale zone de production se trouve à proximité du désert de sel d’Uyuni, autour de Salinas de Garcia Mendoza. Alors que le principal marché se situe à Challapatta que les Boliviens appellent le Wall Street du quinoa [4].

En 2014, dans la dynamique de l’offre et de la demande, les prix ont explosé avec des valeurs moyennes supérieures à 6 600 dollars la tonne. Ce pic a provoqué une réaction logique avec une forte augmentation de la production et un effondrement des prix depuis 2015. La baisse de la valeur a encore été renforcée durant les années Covid qui ont entravé le marché.

Un chiffre est particulièrement révélateur : le volume des exportations en 2014 et 2020 est relativement semblable (respectivement 29 700 tonnes et 28 600 tonnes), alors que leur valeur passe de 196 millions de dollars à 71 millions de dollars. La valeur unitaire de la tonne de quinoa est dès lors passée de 6 602 dollars à 2 496 dollars, une baisse de 63%.

Dans les deux pays andins, les revenus des producteurs ont donc fortement diminué depuis le succès de l’année internationale !

Les coûts cachés

Humundi (anciennement SOS Faim) a lancé en septembre 2023 une campagne dénonçant les coûts cachés de nos systèmes alimentaires, des coûts qui les rendent non durables.

Une étude récente de la fondation Tierra [5], en Bolivie, a mis en évidence un certain nombre d’évolutions significatives et préoccupantes aux alentours du Salar d’Uyuni.

La culture de quinoa y était traditionnellement concentrée sur les reliefs des collines, alors que les plaines herbeuses étaient consacrées à l’élevage de camélidés. Dans un premier temps, le boom a entraîné l’extension des surfaces de quinoa dans les plaines plus exposées aux vents, entraînant érosion et désertification, mais également une diminution de 40% du nombre de camélidés.

La rupture de l’association quinoa/camélidés a en outre entraîné une diminution de la production d’engrais organiques et une perte de fertilité des sols [6]. Il s’agissait donc d’un choix à très courte vue et non durable, comme l’a montré l’évolution des prix. Parallèlement, les producteurs ont augmenté leur dépendance d’un seul produit agricole, ce qui n’est pas sain pour un système alimentaire. Et si les surfaces récoltées ont augmenté, aucun travail n’a été réalisé sur la productivité qui reste cantonnée à des moyennes de 600 kilos par hectare.

Dans cette région, les terres communautaires d’origine sont nombreuses. La ruée vers de nouvelles surfaces a entraîné de facto un accaparement de ces terres par les propriétaires de tracteurs dont les travaux font des ravages dans les plaines et qui se transforment en entrepreneurs ruraux et même intermédiaires face aux paysans [7].

La perte de cohésion sociale est une conséquence logique de cette dynamique, avec une plus grande différentiation sociale. On a ainsi pu observer après 2013, un retour important de citadins. Ils vivent en ville, mais cultivent dans leurs lieux d’origine.

Le bilan est donc relativement catastrophique à tous les niveaux : économique, social et environnemental.

En outre, la saison agricole 2023-2024 s’annonce d’ores et déjà très difficile en raison des circonstances climatiques : la sécheresse qui sévit risque d’entraîner une perte de 70% des semis et donc une diminution drastique de la production. Les représentants des producteurs déplorent l’absence de soutien de l’État et craignent un large mouvement migratoire à la  suite de la perte de revenus [8].

Favoriser la consommation locale du quinoa ?

Les prévisions annoncent une croissance soutenue du marché mondial jusqu’à une valeur de 1,92 milliards de dollars en 2030 [9]. Il reste à voir si les pays andins d’origine parviendront à tirer leur épingle du jeu face aux multiples défis qu’ils rencontrent du point de vue climatique, environnemental, économique et social.

Le cas du quinoa constitue en réalité un sacré défi dans le cadre de la promotion de systèmes alimentaires durables. Comme d’autres produits comme le café, le cacao ou le riz, il est illusoire de penser que le quinoa alimentera uniquement des circuits courts territorialisés. Mais au moins, on peut imaginer un meilleur équilibre entre la consommation locale et internationale, comme cela se passe déjà au Pérou où seuls 42,2% de la production de 2022 ont été exportés.

Rédaction : Marc Mees


[1] Site Mordor Intelligence 

[2] Marco orientador de cultivos – campana 2022-2023 – Ministerio de Agricultura – Perù

[3] Auge y caida de la quinoa, Fundacion Tierra, 2021

[4] Podcast de France Inter 

[5] Auge y caida de la quinoa, Fundacion Tierra, 2021.

[6] El deber, 27 septembre 2023.

[7] La Razon, 20 septembre 2023.

[8] Los Tiempos, 11 octobre 2023 

[9] Site Mordor Intelligence