18 novembre 2024
Agissez pour garantir une production alimentaire saine et durable
Lire la suite13 novembre 2023
Un peu plus d’un mois après le lancement de la campagne d’Humundi sur le « Vrai prix de l’alimentation »[1], qui met en avant les énormes externalités négatives des systèmes alimentaires, l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) a sorti ce lundi 6 novembre un rapport intitulé : « Révéler les coûts réels de l’alimentation pour transformer les systèmes alimentaires »[2]. En quoi ce nouveau rapport appuie ou diverge des constats faits par Humundi lors de sa campagne ?
Un rapport qui appuie la nécessaire intégration des couts cachés.
La FAO publie de nombreux rapports, mais deux d’entre eux, publiés annuellement, sont particulièrement importants : l’un fait l’état des lieux de l’insécurité alimentaire dans le monde (SOFI report), l’autre met en avant une thématique importante pour l’agriculture et l’alimentation mondiale (SOFA report). C’est ce dernier qui est consacré en 2023 mais aussi en 2024 aux couts cachés de nos systèmes alimentaires. Que la FAO investisse pour deux ans cette thématique montre l’importance et la pertinence de prendre en compte ces coûts cachés pour orienter les décisions qui concernent les systèmes alimentaires.
Ce nouvel état des lieux change-t-il les constats établis par la campagne de Humundi ?
Fondamentalement, non. L’étude sur laquelle nous nous sommes basés[3] avançait le chiffre de 18 900 milliards de $ de coûts cachés, la FAO avec sa méthodologie propre avance le chiffre de 12 700 milliards de $. Dans les deux cas, cela reste énorme : plus de 10% du PIB mondial selon la nouvelle étude de la FAO. Les systèmes alimentaires ont des couts cachés affolants.
73% des coûts cachés sont ici associés aux régimes alimentaires qui entrainent de l’obésité et des maladies non transmissibles, plus de 20% sont associés aux coûts environnementaux et 4% sont associés aux coûts liés à la pauvreté et la sous-alimentation[4].
Une fracture entre pays riches et pays pauvres.
Comme nous le soulignions dans notre campagne, les coûts cachés affectent davantage les pays à faible revenu. Dans cette étude, ces coûts correspondent à 27% de leur PIB, contre 8% dans les pays à revenus élevés.
Pour les pays à faible revenu, malgré les biais méthodologiques expliqués ci-dessous, les coûts cachés liés à la pauvreté et à la sous-alimentation restent importants : ils représentent à eux seuls 14% du PIB de ces pays.
Chiffrer les coûts cachés a ses limites.
Il est important de ne pas faire dire à ces chiffres ce qu’ils ne disent pas.
Premièrement, dans cette étude comme dans la précédente, certains coûts cachés ont été omis car les données étaient insuffisantes pour les chiffrer. Dans ce cas il s’agit du retard de croissance chez les enfants, de l’exposition aux pesticides, de la dégradation des terres, de la résistance aux antimicrobiens ou encore des maladies causées par des aliments présentant un danger pour la santé[5].
De plus, seule la mesure monétaire des pertes attribuables à des baisses de productivité ou à des dommages environnementaux comparables au PIB est ici analysée. Ainsi, on prend en compte la perte de productivité d’un individu lorsqu’il tombe malade ou décède de manière précoce et pas la valeur intrinsèque de sa vie[6]. La pauvreté et la sous-alimentation ne sont ici problématiques que parce qu’elles engendrent des pertes de productivité dans les systèmes alimentaires. Cela diffère fortement d’une approche qui intégrerait le cout de la mortalité en tant que tel et explique en partie les importantes différences dans la répartition des couts cachés entre les études.
Selon cette méthodologie, la maladie d’un individu dans un pays à revenu élevé pèsera également plus en coput caché que celle d’un individu dans un pays à revenu faible : la mesure étant la perte de productivité pour l’économie, elle est donc corrélée à l’importance de cette économie.
La quantification économique des impacts sociaux, sanitaires et environnementaux a donc ses limites : elle est partielle et liée à des valeurs du marché qui ne reflètent pas les valeurs que la société peut vouloir donner à ces différents aspects (le respect des droits humains et du vivant). Que seulement 4% des coûts cachés soient associés aux enjeux de pauvreté et de sous-alimentation ne signifient donc pas que ces enjeux soient insignifiants.
Montrer les impacts, sans légitimer les valeurs économiques.
Pour Humundi, parler des coûts cachés est essentiel pour montrer les impacts d’un système alimentaire qui se réclame bon marché, tout en déplaçant son coût vers les plus pauvres, les générations futures ou l’environnement. C’est important pour montrer l’ampleur des impacts et la diversité des dimensions à prendre en compte pour transformer les systèmes alimentaires.
Attention tout de même à ne pas tomber dans une dérive qui consisterait à attribuer une valeur de marché à tout impact. Cela permettrait d’avancer, par exemple, que la vie d’une personne essentiellement occupée par une agriculture de subsistance dans un pays pauvre, n’aurait qu’une valeur négligeable. Ou que l’extinction d’une espèce animale dont les services rendus à l’humanité sont nuls ou inexplorés n’est pas un problème. Faire la lumière sur les coûts cachés et plus largement sur les impacts des systèmes alimentaires doit permettre non seulement de faire payer plus ceux qui ont des pratiques dommageables mais aussi de décider, en tant que société, sur base de ses valeurs et non de celles attribuées par le marché, des pratiques qu’il est nécessaire de soutenir, de réguler et d’interdire. Le respect des droits humains de toutes et tous et de l’environnement doit rester la boussole pour construire des systèmes alimentaires durables, ces valeurs ne peuvent varier en fonction des contributions directes ou cachées de chacun à un PIB dont les nombreuses limites ne sont plus à démontrer.
[1] http://www.levraiprixdelalimentation.be/
[2] FAO, 2023, “The state of food and agriculture : revealing the true cost of food to transform agrifood systems”.
[3] Hendricks & al, 2021, “The true cost and true price of food”, Scientific Group of the UN Food Systems Summit.
[4] Dans l’étude d’Hendricks, les chiffres étaient de 7000 milliards de couts environnementaux, 11 000 milliards de couts pour la vie humaine et 1000 milliards pour les couts des soins de santé. Les couts liés à la pauvreté et l’alimentation n’avaient pas été pris en compte.
[5] Les coûts cachés quantifiés dans cette étude comprennent les émissions de GES et d’azote, l’utilisation de l’eau et les changements dans l’affectation des terres (chemin d’impact environnemental); les pertes de productivité dues à une mauvaise alimentation (chemin d’impact sanitaire); et la pauvreté et les pertes de productivité dues à la sous-alimentation (chemin d’impact social). Pour une description complète de la méthodologie et une comparaison avec les autres études, voir FAO, 2023 p.30.
[6] « Par exemple, les coûts cachés générés par les fausses couches, la mortalité infantile, l’insuffisance pondérale à la naissance et la morbidité due à la dénutrition ne sont pas couverts – bien qu’ils représentent une perte pour la société – car ils sont difficiles à intégrer dans un cadre économique axé sur les flux économiques. Ces coûts cachés non quantifiés peuvent être substantiels, en particulier dans les pays à faible revenu et certains pays à revenu moyen inférieur, mais ne se manifestent dans les flux économiques qu’une fois que les enfants ont grandi ». FAO, 2023, p.27.