31 octobre 2024
Humundi race 2024
Lire la suite4 octobre 2024
Notre monde moderne, industrialisé, nous impose de plus en plus, au nom de la rentabilité, une uniformité. Sous la pression économique, les agriculteur·rice·s sont contraint·e·s de cultiver les variétés les plus rentables, issues de semences certifiées, au détriment d’autres, moins vendables mais plus diversifiées. Ces produits doivent répondre aux exigences de la mécanisation et de la commercialisation : des carottes bien droites, des pommes de terre parfaitement calibrées, etc. Ces critères de standardisation facilitent la récolte, le traitement et la distribution à grande échelle mais nuisent à la diversité biologique.
Pour comprendre comment nous en sommes arrivé·e·s à l’ère des semences certifiées, remontons à l’époque des premiers cultivateurs, 10 000 ans auparavant. À cette époque, les agriculteur·rice·s sélectionnaient les graines présentant les meilleurs rendements, résistances et goûts. En ressemant une partie de leurs récoltes chaque année, les plantes s’adaptaient aux conditions locales, aux pratiques agricoles et au climat régional. Ce processus a constitué le fondement de l’agriculture. Il a permis aux espèces, au fil des migrations, de s’acclimater à de nouveaux environnements, contribuant ainsi à une riche biodiversité des cultures.
Au milieu du 19éme siècle, les premiers semenciers ont quitté le champ pour le laboratoire. Ils ont sélectionné et isolé les variétés paysannes pour former des lignées pures, génétiquement homogènes, visant à produire des plantes uniformes. Afin d’obtenir les caractéristiques génétiques souhaitées, ils ont croisé ces lignées entre elles, produisant des hybrides F1.
Présentées comme une avancée majeure, ces hybrides ont facilité les conditions de production et de récolte. Cependant, ces cultures nécessitent souvent l’emploi de pesticides et d’engrais chimiques, vendus par ces mêmes semenciers. Les hybrides F1 ne peuvent également pas être réutilisées d’une année à l’autre, obligeant les paysan.ne.s à racheter des semences chaque année, les rendant dépendant.e.s de ce système.
Aujourd’hui, cinq multinationales (Bayer-Monsanto, Syngenta, Corteva, BASF, Limagrain) contrôlent près de 95 % du marché mondial des semences. Ces géants ont consolidé leur pouvoir économique en se regroupant et en investissant dans quelques cultures spécifiques, réduisant ainsi la diversité des variétés disponibles sur le marché.
Dans les années 60, l’Europe impose l’inscription des variétés de semences dans un catalogue officiel. Seules les variétés qui y sont référencées ont le droit d’être commercialisées. Pour y entrer, elles doivent réussir le test DHS (Distinction, Homogénéité, Stabilité). Les semences paysannes, souvent moins homogènes et uniformes, sont alors rapidement écartées du marché. La majorité des variétés inscrites au catalogue sont donc des hybrides F1, développées pour répondre aux critères stricts du test DHS.
Conséquences ? Un tel système entraîne une standardisation des semences qui entraine elle-même une perte de la diversité dans les espèces cultivées. De plus, l’inscription des variétés au catalogue n’est pas sans coût, ce qui pénalise les petit·e·s sélectionneur·euse·s et agriculteur·rice·s aux ressources limitées renforçant ainsi la domination des grandes entreprises sur le marché des semences.
Aujourd’hui, la concentration du marché sur un nombre limité d’espèces entraîne une perte significative de la biodiversité cultivée. Bien qu’environ 5000 espèces de plantes nourricières soient recensées, les trois quarts de notre alimentation proviennent de seulement 12 espèces. En Wallonie, 158 variétés de poires ont disparu depuis le siècle dernier. En Inde, 10 variétés de riz dominent les rizières qui abritaient autrefois plus de 30 000 variétés. Au Sénégal, des variétés traditionnelles de niébé, voandzou, riz, fonio, mil et sorgho sont menacées par les variétés modernes et la sécheresse.
La biodiversité est essentielle pour la sécurité alimentaire car elle permet de répondre à des menaces imprévues telles que les changements climatiques ou l’émergence de nouveaux ravageurs et maladies. Afin de protéger cette diversité biologique et de lutter contre la privatisation des semences, des collectifs de citoyens se mobilisent pour produire et commercialiser des semences libres de droits (non inscrites au catalogue officiel). Par ce biais, ils permettent de réintégrer des variétés oubliées et contribuent à la résilience alimentaire.
Rédactrice : Nastasja Marchal
LISEZ LE NUMERO COMPLET