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20 décembre 2024

La Belgique rétropédale-t-elle sur les exportations de pesticides interdits ? 

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Alors que la Belgique a été pionnière dans l’Union européenne (UE) en appliquant une des premières mesures, en tout cas la plus aboutie et complète, pour stopper l’exportation de pesticides interdits dans l’UE, est-elle maintenant en train de faire machine arrière ? Des signaux clairs le montrent, alors que chaque retard dans la mise en place d’une mesure à la cohérence évidente faits des dégâts dans les pays tiers, mais aussi auprès de nos partenaires européens… 

On s’en souvient, en juin 2023, après plus de 18 mois de campagne, la coalition Stop pesticides, lancée par Humundi, et composée de 7 ONG de solidarité internationale, criait victoire : l’arrêté royal actant l’arrêt endéans les 18 mois de l’exportation de pesticides interdits était adopté. Cette adoption était un engagement fort de la part du gouvernement Vivaldi, décidant d’agir pour prévenir les conséquences sociales, environnementales et humaines de telles exportations1. 

Avec près de 7000 tonnes de substances actives exportées en moyenne chaque année entre 2013 et 2021, la Belgique n’est pas un petit joueur à l’échelle de l’UE. Ces dernières années, elle était même dans le haut du classement des pays exportateurs de ces pesticides. Par sa géographie, ses infrastructures portuaires, son expertise dans le domaine, la Belgique est un pays stratégique pour l’industrie chimique, fleuron de l’économie belge. À cet égard il est pourtant important de rappeler un élément essentiel : les substances actives visées par l’interdiction d’exportation sont de vielles molécules, dont la dangerosité est avérée et de fait interdites d’usage sur le sol de l’UE. Perpétuer une orientation industrielle sur ces dernières va à l’encontre d’une stratégie d’innovation2

Alors que le gouvernement défendait une mesure cohérente avec les engagements belges à l’international et protectrices vis-à-vis des consommateur·ice·s belges et de l’environnement, le projet d’arrêté royal a rencontré l’opposition farouche du lobby des produits phytopharmaceutiques Belplant3 sous des prétextes fallacieux de chantage à l’emploi, depuis longtemps décrédibilisés4. Initialement opposé à la mesure, le cabinet du ministre fédéral de l’Agriculture avait finalement soutenu l’adoption de cet arrêté et fait de la Belgique un exemple auprès de nos partenaires européens. 

Aujourd’hui, un vent défavorable souffle sur cette mesure emblématique. Pour preuve cette lettre envoyée à l’initiative de l’État du Danemark demandant explicitement à la direction générale de l’environnement (DG ENV) de la Commission européenne de prendre des mesures proactives pour stopper ces exportations à l’échelle de l’UE5 où 7 pays de l’UE ont signé…mais pas la Belgique ! 

Pourquoi donc un tel revirement politique après s’être démarqué positivement en ayant mis en place une mesure emblématique de la transition industrielle et écologique à l’échelle de l’UE ? 

Des cabinets ministériels et des responsables politiques nous indiquent que cette absence d’engagement de la Belgique révèle une vraie tentative de détricotage. Les négociations fédérales qui se jouent actuellement sont l’occasion pour tenter d’obtenir des concessions sur des dossiers sensibles. Le ministre fédéral de l’Agriculture David Clarinval semble essayer d’obtenir un report de la mise en application de l’arrêté royal qui aurait dû entrer en application le 28 mai 2025. Des tractations qui menacent la mise en application de cette mesure et qui permettent de gagner du temps… 

Pourtant, à la présidence du Conseil de l’UE au premier semestre 2024, la Belgique a fait adopter des conclusions réellement ambitieuses à ce sujet, « invitant instamment la Commission à maintenir un niveau d’ambition élevé dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie [en matière de produits chimiques] », en rappelant les engagements de la Commission en la matière et l’urgence de « passer aux actes »6. La Belgique est-elle en train de renier ses propres conclusions seulement six mois après les avoir formulées ?  

Est-ce que la Belgique se placera en contradiction avec les faits scientifiques sur la nocivité de tels pesticides pour les intérêts de quelques entreprises, au risque de nuire gravement aux populations du Sud global, à l’environnement et de favoriser l’exposition de la population belge aux résidus de ces pesticides interdits ? Enfin, quel est le signal envoyé sur la constance de l’engagement belge sur ces enjeux vis-à-vis des autres États membres ? Nous attendons de la Belgique, du gouvernement en affaire courante ainsi que des négociateurs du futur gouvernement fédéral – notamment les ministres fédéraux de la Santé et la Coopération au développement Frank Vandenbroucke et de l’Agriculture David Clarinval – de mener à bien le processus au niveau belge et à soutenir une position ambitieuse au niveau de l’UE. 

8000 pétitionnaires belges ont soutenu cette mesure, c’est en leurs noms et au nom de ses partenaires du Sud global, que Humundi et ses alliés belges et européens alertent aujourd’hui et rappellent à tous leurs engagements.

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