Agir avec nous

image
Nos articles > Accord andin : mépris des engagements climatiques

22 avril 2025

Accord andin : mépris des engagements climatiques

icone


L’impact climatique de l’accord commercial Union européenne, Colombie, Pérou et Équateur

Une nouvelle étude réalisée par l’ONG allemande PowerShift montre que l’accord commercial entre l’Union européenne (UE), la Colombie, le Pérou et l’Équateur (aussi appelé accord andin) facilite plus le commerce de produits nuisibles qu’il ne met en place des normes environnementales et sociales. En 2020, Humundi avait mené campagne pour dénoncer les dangers de cet accord. Qu’en est-il aujourd’hui ?

L’accord, initialement signé en 2012, a été depuis provisoirement mis en œuvre avant sa ratification complète par l’ensemble des États-membres de l’UE – la Région de Bruxelles-capitale faisant figure de résistant de la dernière heure en ratifiant l’accord en novembre 2023 . Cet accord est censé favoriser les relations commerciales et la croissance économique tout en garantissant des normes élevées selon ses critères relatifs au développement durable. Ces belles intentions sont cependant très théoriques. L’étude de Powershift effectue une analyse des flux commerciaux, de la gouvernance et des mécanismes institutionnels afin de déterminer si l’accord a réellement favorisé la transition vers une économie bas-carbone.

Le constat n’est pas reluisant. Le contexte récent de la guerre en Ukraine est parfois évoqué, mais ne peut pas tout expliquer. Il est vrai que cette guerre a conduit à une hausse de la demande de charbon colombien, renforçant un modèle économique extractiviste qui va à l’encontre des objectifs climatiques. Mais il y a bien plus, car les dispositions provisoires ont déjà été d’application de 2012 à 2023. Et durant cette période , conclut Powershift, « le commerce de biens produits selon des méthodes socialement et écologiquement néfastes, comme les crevettes, les avocats ou les bananes, a augmenté. La dépendance fatale des pays andins à l’exportation de matières premières non transformées comme l’or et le charbon est réapparue. La décarbonation de l’approvisionnement en matières premières essentielles comme le cuivre est au point mort. Les besoins urgents d’adaptation des petits producteurs de café ont été largement ignorés. Les dispositions ciblées visant à atténuer l’impact climatique des échanges commerciaux entre l’UE et les pays andins sont largement absentes. »

L’or, le cuivre, les avocats, l’huile de palme, les bananes et les crevettes

L’exploitation de l’or en Colombie engendre une déforestation massive et une pollution de l’eau, sans qu’aucune clause environnementale ne soit imposée par l’accord. Au Pérou, la demande européenne de cuivre a entraîné une intensification de son extraction. Or, cette activité est très polluante (dégradation des sols, pollution de l’eau, conflits avec les communautés locales) et l’accord ne prévoit aucun mécanisme pour limiter ces impacts.

Dans les domaines agricoles, en Colombie et au Pérou, l’essor des exportations d’avocats et d’huile de palme vers l’UE a conduit à une déforestation massive et à une consommation excessive d’eau, aggravant les conflits fonciers.

Au Pérou, les plantations d’avocats sur la bande côtière aride sont passées de 25 000 hectares en 2014 à 67 000 hectares en 2023. Le Pérou est devenu le deuxième exportateur mondial d’avocats et l’UE est son principal marché. La variété d’avocats Hass, qui convient très bien à l’exportation en raison de sa peau épaisse, a supplanté les autres variétés et érodé la diversité génétique d’une culture séculaire. L’expansion de cette culture a été facilitée par de grands projets d’irrigation financés par des investissements étrangers, car les besoins en eau des avocats sont quatre fois supérieurs à ceux des oranges et dix fois supérieurs à ceux des tomates. Alors que certaines régions du Pérou font face à des situations de stress hydrique chroniques, l’expansion de ces cultures pose de sérieuses questions.

En Équateur, la forte augmentation des exportations de bananes et de crevettes vers l’UE a entraîné des pratiques destructrices. L’industrie de la banane est très polluante en pesticides et les prix d’achat imposés par les supermarchés européens empêchent les producteurs d’investir dans des méthodes durables. Quant à l’industrie de la crevette, elle a causé la destruction de plus de 70 % des forêts de mangroves, menaçant les écosystèmes côtiers et les moyens de subsistance des communautés locales.

Faiblesses juridiques

Selon l’évaluation faite par Powershift, l’accord ne prévoit aucun mécanisme pour prévenir ces pratiques néfastes ou pour encadrer le commerce de ces produits à fort impact climatique. On trouve des engagements généraux pour le développement durable et le respect des accords climatiques internationaux, mais ces engagements ne sont pas juridiquement contraignants.

Il n’existe ainsi aucune sanction économique en cas de non-respect des engagements environnementaux, ce qui permet aux activités polluantes de se poursuivre sans conséquences. La protection de la biodiversité et la promotion de la production durable sont mentionnées, mais sans mécanisme de règlement des différends.

Influence des lobbies industriels

Les représentants de l’industrie exercent une forte pression, tandis que la société civile a très peu de poids dans les décisions. Les comités créés dans le cadre de l’accord sont influencés par ces lobbies et disposent de larges pouvoirs de modification de l’accord sans nécessiter la validation par les parlements nationaux. En conséquence, la protection de l’environnement et des droits des travailleur·euse·s passent souvent au second plan comparés aux objectifs d’augmentation des échanges commerciaux.

Selon Powershift, les améliorations potentielles de l’impact climatique du commerce entre ces régions ne viendront pas de l’accord lui-même, mais plutôt d’autres régulations de l’UE, comme la réglementation sur la déforestation importée (RDUE) et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – si tant est que ces législations soient maintenues.

Powershift formule plusieurs recommandations de réforme :

  • Rendre les engagements climatiques juridiquement contraignants : inclure des mesures exécutoires avec des sanctions en cas de non-respect.
  • Restreindre ou d’interdire le commerce de produits nuisibles : limiter ou éliminer les échanges de charbon, or, crevettes, avocats et huile de palme.
  • Mettre en place des mesures d’atténuation obligatoires : soutenir la transition écologique des entreprises, renforcer les réglementations environnementales et imposer un suivi rigoureux des chaînes d’approvisionnement.
  • Offrir un soutien technique et financier aux pays andins. Le soutien financier devrait être réalisé sous forme de subventions plutôt que de prêts, pour éviter d’aggraver l’endettement de ces pays.
  • Exiger des processus plus transparents et de permettre aux représentants élus et à la société civile de participer aux décisions.

En conclusions, l’étude juge que l’accord commercial UE-pays andins ne respecte pas les engagements climatiques de l’UE et perpétue un modèle économique nuisible à l’environnement. Il est impératif de le réformer en y intégrant des obligations juridiquement contraignantes en matière de durabilité, sous peine de continuer à favoriser un commerce destructeur plutôt qu’un partenariat économique équitable et respectueux du climat.

Lire rapport de Powershift : ici

Notre campagne de 2020 : ici