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Les stocks publics européens de poudre de lait n’existent plus depuis 2019. En parallèle, les exportations de ce lait vers l’Afrique de l’Ouest se sont intensifiées. Désormais les laiteries européennes visent directement ce marché considéré comme celui « du futur ». Devenu structurel, le dumping du lait européen dans la région prend de l’ampleur et met plus que jamais en péril les filières locales.
Les images avaient fait le tour des médias en 2018. Des milliers de sacs de poudre de lait entassés à perte de vue sur 8000 palettes dans un entrepôt à Herstal, en Belgique. En tout, 12 000 tonnes achetées dans des laiteries wallonnes et stockées par la Région pour le compte de l’Union européenne (UE). Sous le regard médusé des parlementaires européens rassemblés pour l’occasion à l’initiative de l’European Milk Board (EMB), l’association qui représente les producteurs laitiers de 15 pays européens, se dévoilaient concrètement l’absurdité et les excès de la politique européenne en matière de lait.
Entre 2015 et 2018, la Commission européenne a stocké et stocké encore, par l’intermédiaire des États membres, des centaines de milliers de tonnes de lait en poudre pour tenter de stabiliser les marchés, plombés par la crise et la surproduction. À l’époque, 380 000 tonnes étaient ainsi stockées aux quatre coins de l’Europe. Des sacs de poudre de lait achetés quand les prix étaient trop bas avec l’espoir de les revendre à un meilleur prix au moment où la conjoncture devait s’améliorer. Sauf que cette politique a coûté très cher à l’UE et, selon l’EMB, n’a jamais atteint les objectifs escomptés puisque ces excédents ont le plus souvent été revendus à perte.
Trois ans plus tard, qu’en est-il de ces stocks ? Plusieurs sources le confirment, ils ont fondu comme neige au soleil. Selon le Département de l’Agriculture pour le Service public de Wallonie, les derniers sacs de poudre de lait ont quitté les entrepôts wallons le 31 janvier 2019.
Source : Département de l’Agriculture, Service public de Wallonie
Au niveau européen aussi, on confirme que ces stocks publics n’existent plus depuis 2019. Pareil du côté de la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL) qui représente une quarantaine de laiteries dont les plus grosses comme Milcobel, Arla, Friesland Campina ou encore Nestlé. Son rapport annuel nous en dit un peu plus sur l’évolution année par année de ces stocks :
« Fin 2016, les stocks publics de poudre de lait écrémé s’élevaient à 351.000 tonnes. Ils ont à nouveau progressé en 2017 jusqu’à 378.000 tonnes. Depuis la fin de l’année 2016, la Commission européenne a tenté de démanteler progressivement les stocks, mais sans beaucoup de succès jusqu’à avril 2018. Après avril 2018, les ventes ont été activées, à des prix de plus en plus élevés. En 2018, les stocks ont été finalement démantelés à 175.000 tonnes. La quasi-totalité des stocks ont été vendus en janvier 2019.[1] »
Vers où ces stocks ont-ils été expédiés ? En premier lieu vers l’Asie avec en tête la Chine, l’Indonésie ou encore les Philippines. L’Europe a également exporté une partie de ses stocks en direction du continent africain vers des pays comme l’Algérie, le Nigéria, l’Egypte ainsi qu’en Afrique de l’Ouest vers la Côte d’Ivoire ou le Sénégal notamment. « Les exportations européennes de poudre de lait continuent d’inonder le marché africain, confirme Tine Khadi Camara, chargée d’appui à la filière lait à l’antenne de SOS Faim au Sénégal. Le lait en poudre est plus que jamais une réalité, surtout en milieu urbain comme à Dakar. Il continue d’exercer une concurrence déloyale qui pèse énormément sur le développement de la filière locale. »
En tout, selon Thérèse Lerebours porte-parole de la DG Agriculture de la Commission européenne :
« Les exportations de lait écrémé en poudre vers les pays de l’Afrique de l’Ouest ont représenté 7% du volume total exporté en 2020. Les entreprises européennes ont une longue expérience d’exportation dans le secteur laitier. C’est une activité commerciale quotidienne qui permet aux produits laitiers européens d’être consommés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE ».
Les exportations de poudre de lait vers l’Afrique de l’Ouest sont plus que jamais une réalité, la Confédération belge de l’industrie laitière faisant même directement le lien entre les stocks européens, le prix de la poudre de lait et celui du beurre : « Suite au démantèlement des stocks européens, le prix de la poudre de lait écrémé a pu poursuivre son ascension apparue au second semestre 2018. [2] » En 2019, son prix a fortement augmenté principalement au deuxième semestre, «sous l’effet du démantèlement des stocks et de la demande favorable sur le marché mondial». Début 2019, la tonne de poudre de lait se vendait à 1980 euros pour atteindre à 2600 euros/tonne en fin d’année, soit « une hausse de 31% réalisée sur l’ensemble de l’année 2019.[3] » selon la Confédération belge de l’industrie laitière.
Le commerce mondial en poudre de lait écrémé ne cesse d’augmenter et, si l’on en croit la CBL, l’Europe et particulièrement la Belgique se tailleraient la part du lion : « Après une hausse de 16%, notre pays est le leader incontesté des exportateurs européens. Il occupe une part de 8,2% sur le marché mondial.[4] »
En tout, le commerce de poudre de lait a fortement progressé ces dernières années au sein de l’UE qui occupe sans conteste la place de leader avec 962 000 tonnes (+18%), devant les USA (700 000 tonnes) qui enregistrent une légère baisse. La Nouvelle-Zélande vient compléter le trio de tête avec une légère hausse à presque 400 000 tonnes d’exportations.
La poudre de lait a le vent en poupe donc, et les exportations vers l’Afrique, marginales il y a quelques années encore, prennent de l’ampleur. « De conjoncturelles, elles sont devenues structurelles » réagit, Erwin Schöpges, le président de Fairebel qui a lancé plusieurs initiatives pour soutenir les producteurs de lait européens et africains.
« Désormais cela n’a plus rien à voir avec les stocks européens. C’est devenu le ‘business model’ même des laiteries qui prennent le beurre mieux valorisé en Europe et exportent le reste, la poudre de lait écrémé, vers l’Afrique notamment. »
Et il n’y a pas de raison que ce phénomène s’arrête puisque que le prix de la poudre de lait atteint encore des sommets en 2021. Selon la DG Agriculture de la Commission européenne, les prix ont augmenté de 23% par rapport à l’année dernière. « En septembre 2021, la poudre de lait s’est achetée 2960 euros la tonne, dépassant ainsi les niveaux records de 2019. »
Tous les acteurs le confirment : l’Afrique, c’est l’avenir. « Ici, en Europe, la consommation baisse, c’est un fait », avance Erwin Schöpges.
« Les gens consomment moins de produits laitiers alors il faut chercher d’autres marchés ailleurs. Et ces nouveaux marchés pour les laiteries, c’est l’Afrique ! J’ai encore été récemment au Mali et au Niger… Sur place, je constate toujours le dumping exercé par notre poudre de lait sur les producteurs de lait africains. Il y a partout des panneaux de publicité d’Arla, de Friesland-Campina, … et toutes les grandes laiteries qui font de la publicité pour convaincre le consommateur d’acheter de la poudre de lait plutôt que du lait local. »
L’industrie laitière belge est d’ailleurs très transparente à ce sujet. « Tout le continent africain est perçu comme un marché du futur. Il y a une demande de la part de ces pays-là, raison pour laquelle on exporte », explique Renaat Debergh, l’administrateur délégué de CBL :
« La demande en produits laitiers repose sur deux facteurs-clés : le développement économique et l’augmentation de la population. Or, c’est clair que les perspectives de croissance de la population sont énormes en Afrique. »
Selon Renaat Debergh, les exportations vers l’ouest du continent africain ont augmenté de 14%, à raison de 3-4 pourcents par an, entre 2017 et 2020. « Et ces exportations continuent d’augmenter parce que qu’il y a de la demande, insiste l’administrateur de la CBL.
« Nous n’avons absolument rien contre la production locale, au contraire, mais il faut quand même savoir qu’il y a pas mal de contraintes à la production locale. Il y a bien sûr les conditions climatiques et les problèmes d’infrastructures. En Afrique sub-saharienne, les conditions ne sont pas optimales pour la production de lait ».
Et même si l’on note une augmentation de la production laitière locale entre 2000 et 2016, Renaat Debergh constate que « les pays d’Afrique de l’Ouest ne peuvent satisfaire que 50% de la consommation locale ». Ils n’arrivent pas à suivre l’évolution de la demande qui se développe beaucoup plus vite. » D’ailleurs c’est simple, pour l’administrateur-délégué de l’industrie laitière belge, les responsables politiques de ces pays-là pourraient augmenter les taxes sur les produits importés pour soutenir et développer leurs filières locales. « Mais ils le font-ils pas ? Pourquoi ? Parce que leur priorité est de nourrir cette population qui s’accroît très vite. »
L’industrie laitière européenne pour pallier les carences des filières locales en Afrique de l’Ouest ? L’image fait sourire les producteurs européens et africains de lait. Pour ces derniers, ce sont justement ces importations en inondant le marché africain qui empêchent les producteurs locaux de développer leur filière. « À part les industriels, tout le monde est perdant dans cette affaire, analyse Boris Gondouin, membre du Comité directeur de l’European Milk Board.
«Ce ‘marché africain’ ne crée aucune plus-value pour les producteurs de lait ni en Europe ni en Afrique de l’Ouest. Il provoque du dumping là-bas puisqu’on vend à bas prix cette poudre de lait de laquelle on a retiré la matière grasse et qu’on a ré-engraissée ensuite à l’huile de palme. »
Même son de cloche du côté d’Erwin Schöpges, le président de Fairebel :
« Le modèle mis en place en Europe repose sur la surproduction. On produit au moins 15% de lait en plus que ce qu’on consomme ici. Les laiteries européennes sont donc contraintes de trouver des débits pour cette surproduction en exportant en dehors de l’UE. »
Un business model pour l’industrie laitière européenne qui ne risque pas de s’inverser puisque, selon la Confédération de l’industrie laitière belge, le prix du beurre en 2021 a encore augmenté. À la fin de l’année 2020, le beurre se vendait 3800 euros la tonne. « Au premier trimestre 2021, le prix du beurre a considérablement augmenté, à savoir de 24% pour s’établir à un peu plus 4600 euros/tonne.[5] » Une courbe vers le haut que suit également la poudre de lait. « Au premier trimestre 2021, le prix a progressé de 7% pour atteindre 2730 euros/tonne »[6].
Difficile de croire, dans ce contexte, que l’industrie laitière européenne ne change son fusil d’épaule à court ou moyen termes. Mais Erwin Schöpges met en garde. Pour lui, il faut inverser la tendance parce qu’on est en train de faire en Afrique de l’Ouest ce qu’on a fait en Europe il y a 40 ans :
« Comme ici, de moins en moins de jeunes sont prêts à reprendre le flambeau parce qu’ils ne gagnent pas assez. On perd les exploitations familiales et on voit aussi des phénomènes de concentration d’exploitations. »
Pour endiguer ce phénomène, la seule solution est de développer les mini-laiteries sur place. Des initiatives comme FaireFaso créée il y a 7 ans au Burkina-Faso produisent des résultats très intéressants en aidant les agriculteurs sur place à se développer eux-mêmes:
« Aujourd’hui, des initiatives de ce type se mettent en place au Sénégal et au Niger. Ce modèle n’est pas « LA » solution mais cela fait partie des solutions de la même façon qu’on met en place ce type de projets en Belgique et ailleurs en Europe… Il est clair aussi que les agriculteurs doivent changer leur façon de penser et s’occuper eux-mêmes de la commercialisation de leur lait. »
Rédaction : François Corbiau
Réalisé par :
[1] Rapport annuel 2021 – année d’activités 2020 de la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL), p. 26.
[2] Rapport annuel 2020 – année d’activités 2019 de la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL), p. 11.
[3] Rapport annuel 2020 – année d’activités 2019 de la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL), p. 12.
[4] Rapport annuel 2020 – année d’activités 2019 de la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL), p. 14.
[5] Rapport annuel 2020 – année d’activités 2019 de la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL), p. 12.
[6] Idem, p. 12.