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On le sait, la tendance globale est de privilégier les cultures uniques des céréales les plus rentables. Pourtant, au Pérou, des producteurs de semences se sont lancés dans un remarquable travail de conservation des variétés de leur région. La CAAP, ou Centrale Agro Andine du Pérou, soutient ces petites associations de paysans, qui refusent de voir disparaître ces plantes qui ont fait vivre leurs ancêtres pendant des centaines d’années.
Cela va faire bientôt dix ans que plusieurs jeunes organisations paysannes se sont unies pour former la “Central Agro Andina del Peru”. Celle-ci regroupe aujourd’hui plus de mille familles, réparties au sein de coopératives et d’associations dans trois régions du pays : Cusco, Apurímac et Puno. Mille familles, c’est beaucoup et les rassembler permet non seulement à la Centrale de leur faire gagner plus d’influence au niveau politique mais aussi de les soutenir plus facilement d’un point de vue technique et financier. “Si les agriculteurs ne se regroupent pas, il est difficile d’intervenir pour chacun d’eux” explique Soraida Condori, directrice de la CAAP. Il y a 2 200 000 agriculteurs familiaux à l’échelle nationale, qui produisent du quinoa, du maïs, des pommes de terre et bien d’autres.
Parmi les nombreux projets de soutien, on note la formation à la production de semences biologiques, qui s’est clôturée par la certification bio de trente producteurs de semences de maïs géant blanc en 2018. Ce projet de formation est, à l’origine, une initiative d’Agrovas, une des organisations membres de la CAAP située à Calca.
Bien qu’une grande partie du financement provînt de l’agence publique Institut National d’Innovation Agricole (INIA), la Centrale s’est chargée du suivi des producteurs. Elle les a accompagnés lors de la préparation de la terre, de la récolte et de l’après-récolte et ce pendant les deux années qui ont conduit à leur accréditation.
Suite à cette formation, les producteurs ont décidé de former ensemble une association de producteurs de semences de maïs géant blanc, une variété de maïs typique de la région. « Ici, on produisait déjà du maïs géant blanc du temps des Incas, décrit fièrement Soraida Condori, cette variété ne pousse nulle part ailleurs au Pérou ou même dans le monde”. Pour les partenaires de la CAAP, maintenir la production de ces semences ancestrales est ainsi une façon de préserver leur patrimoine face à la mondialisation et la standardisation des goûts à travers la planète.
Les producteurs vendent leurs semences de maïs sur le marché local à dix soles (environ 2,10 €) le kilo, soit trois fois le prix du maïs en grain conventionnel. La certification bio a donc permis aux producteurs formés de bénéficier d’une certaine valeur ajoutée sur leurs produits et donc de gagner plus de revenus par rapport aux coûts de production assez importants. Ceci est crucial dans un contexte politique où l’agriculture familiale du Pérou est vulnérable face aux accords de libre-échange avec notamment l’Union européenne et le Canada et doit parer aux prix très compétitifs des produits importés.
Malgré les risques économiques, cultiver les variétés de céréales ancestrales, moins productives mais plus nutritives, est essentiel pour la sauvegarde de la biodiversité de la région. Au sein de la coopérative COOPAIN, dans les montagnes de Cabana, plusieurs personnes se sont unies dans un effort de conservation de semences de quinoas rouge, noir et jaune. “Ils font ça de leur propre volonté, sans le soutien technique ou économique de personne, pour ne pas que ces semences se perdent” précise Soraida Condori. Le but ici n’est ni de consommer ni de vendre mais bien d’empêcher les diverses variétés locales de disparaître.
« Cultiver ces variétés a permis à nos ancêtres de conserver leur culture : les techniques de production, par exemple, prennent en compte les “siestes traditionnelles”. Cela leur a permis de s’adapter au climat et de continuer à exprimer leur culture via les danses, les célébrations religieuses. » Soraida Condori
Moins versatiles en cuisine et moins faciles à cultiver que le quinoa blanc très répandu dans le monde et en particulier au Pérou, ces variétés de quinoa sont bien plus intéressantes d’un point de vue environnemental. Elles sont peu exigeantes en eau, peuvent pousser à plus de 4000 mètres d’altitude et leurs nutriments permettent d’enrichir les terres appauvries et polluées par l’agriculture conventionnelle. A leurs côtés, les conservationnistes font pousser des tubercules comme la “mashua”, la “oca”, la “papa” (pomme de terre) et d’autres plantes elles aussi nécessaires au maintien de la biodiversité du pays.
L’enjeu écologique de ces projets de conservation est énorme, mais les volontaires reçoivent très peu de soutien. “Il est pourtant nécessaire que ces semenciers soient formés et certifiés car les semences que produit la INIA ne sont pas suffisantes ni d’excellente qualité” affirme Soraida Condori. La CAAP aimerait que l’État puisse un jour assumer ce rôle de sauvegarde des semences, fournir des terres plus adaptées à la culture des céréales anciennes, générer une banque de semences, augmenter le nombre de membres de l’équipe… Bref, beaucoup de travail en perspective.
Rédactrice : Chems Deaibes