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14 février 2025

Accord Arizona : des mesures insatisfaisantes pour une agriculture juste et durable

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Le 9 juin dernier, lors des élections régionales, fédérales et européennes, nous avions analysé dans quelle mesure les partis politiques prenaient en compte nos priorités face aux défis agricoles, sociaux et climatiques des systèmes alimentaires.

Aujourd’hui, avec la formation du nouveau gouvernement, il est temps d’analyser si ces priorités ont été intégrées à l’accord Arizona. Malgré quelques éléments positifs, notamment sur la régulation du commerce international, l’accord de gouvernement passe à côté des transformations essentielles pour une alimentation juste et durable, ici et dans le reste du monde. Absence de soutien à l’agroécologie, flou sur les régulations du commerce agricole, silence inquiétant sur l’exportation de pesticides interdits et manque d’actions concrètes pour les agriculteurs et agricultrices de petite taille face au changement climatique : les mesures sont insuffisantes !

décryptage

 Lors des élections du 9 juin, notre campagne se concentrait sur quatre grandes priorités nécessaires pour transformer nos systèmes alimentaires : 

  • Un soutien massif à l’agroécologie comme solution aux impasses des systèmes alimentaires. 
  • Une protection accrue des agricultures locales face à la concurrence déloyale et une régulation du commerce international. 
  • L’arrêt de l’exportation européenne de pesticides interdits. 
  • Un appui renforcé aux agriculteurs et agricultures de petite surface pour s’adapter aux changements climatiques. 

Nous avions déjà évalué les programmes des partis francophones sur ces critères, attribuant des notes mitigées aux gagnants des élections : un mauvais bulletin pour le MR et une évaluation moyenne pour Les Engagés. Désormais aux commandes aux côtés de la NVA, du CD&V et de Vooruit, ces partis ont-ils intégré ces priorités dans l’accord de gouvernement ?

Accord Arizona - : Accord Arizona : des mesures insatisfaisantes pour une agriculture juste et durable

l’agroécologie oubliée, la technologie mise en avant

Une grande absente de l’accord : l’agroécologie. Alors qu’elle était mentionnée dans les deux programmes MR/Les Engagés, l’accord de gouvernement s’en remet principalement à la technologie pour résoudre les problèmes de nos systèmes alimentaires, le soutien aux nouvelles techniques génomiques retient également l’intérêt de la coalition malgré les nombreuses critiques qui les accompagne.  

Cela dit, quelques mesures positives émergent dans l’accord : une volonté de réformer la Politique Agricole Commune (PAC) pour améliorer les revenus agricoles, d’encadrer les prix agricoles pour protéger les agriculteurs et un engagement à soutenir les circuits courts dans les marchés publics.  Cependant, nos revendications spécifiques ne sont pas du tout prises en compte. L’accord réduit le budget de la coopération au développement et modifie ses objectifs, en voulant en faire un outil au service de la gestion des flux migratoires et des intérêts de la Belgique à l’étranger. Cela signifie moins d’argent pour la solidarité internationale et les objectifs de développement durable. L’agroécologie est aussi absente du volet international, bien qu’une mention sur la sécurité alimentaire durable apparaisse

De plus, ni au niveau national ni européen, l’accord ne prévoit de gouvernance pour transformer les systèmes alimentaires, ni de budget dédié à cette transformation. Il se concentre uniquement sur la consommation responsable comme levier de changement et l’aide alimentaire, sans proposer de solutions à long terme ou de mécanismes plus émancipateurs. 

Une régulation du commerce international en demi-teinte 

Les programmes sur le thème du commerce international étaient assez ambitieux, mais cela se traduit seulement partiellement dans l’accord de gouvernement. L’accord met en avant une « autonomie stratégique ouverte », favorisant le commerce international et les accords de libre-échange, tout en insistant sur la nécessité de règles équitables et de diversifier les chaînes d’approvisionnement. Cependant, peu de place est laissée au caractère particulier du commerce agroalimentaire. 

En ce qui concerne le commerce mondial, l’accord insiste sur le besoin d’un commerce équitable basé sur le multilatéralisme par le biais de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il souhaite réformer cette institution pour lutter contre la concurrence déloyale et intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans les accords commerciaux. Mais, en l’absence de réforme, la Belgique appliquera plus vigoureusement le principe de conditions de concurrence égales, un engagement vague qui reste à concrétiser. 

Concernant les accords de libre-échange, l’accord évoque la nécessité de respecter les droits humains et d’inclure des normes sociales et environnementales, telles qu’elles sont appliquées aujourd’hui par la Commission européenne. Ce passage reste flou car la Commission européenne n’applique pas de manière systématique les mêmes règles à chaque accord, et même ses traités les plus exemplaires manquent encore d’ambition. Le gouvernement de l’Arizona cherchera un équilibre entre les « mesures de protection des secteurs agricoles les plus sensibles et le développement de nos relations commerciales concernant les produits agricoles », ce qui reste très théorique et ne remet pas en question l’impact de potentielles exportations européennes sur les agriculteurs et agricultrices des pays du Sud global.  

De plus, l’exception agricole, c’est-à-dire l’idée que les denrées agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres et doivent avoir des conditions de commerce particulières, était au cœur du programme des Engagés mais ne se retrouve mentionnée nulle part dans l’accord. L’accord UE Mercosur, avec son grand volet agricole, n’est pas du tout mentionné non plus alors qu’il cristallise de fortes tensions dans le sud du pays et est condamné par l’ensemble des syndicats agricoles mais aussi par de nombreuses organisations européennes et du Mercosur. 

Concernant le respect des normes européennes pour les produits importés, l’accord met en avant un travail sur la reconnaissance mutuelle des normes avec les partenaires dans les accords de libre-échange. Il met également en avant un fonds de compensation pour les agriculteurs.trices si cette réciprocité des normes n’est finalement pas garantie (bien que ce fonds soit contesté par les agriculteurs.trices dans le cadre de l’accord UE Mercosur). « Nous veillons strictement à ce que les produits importés répondent aux exigences européennes en vigueur » dit le texte. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) est vu comme un instrument important à améliorer et élargir. Il y a donc une vraie volonté de mettre en place et étendre certains types de mesures miroirs, ce qui est positif. Néanmoins, l’accord omet de mentionner le soutien nécessaire pour aider les producteurs des pays tiers à se conformer à ces normes, ce qui est essentiel pour faire de ces mesures des leviers pour répondre aux défis globaux. 

Enfin, le gouvernement se dit déterminé à lutter plus fermement contre le dumping et les subventions étrangères, mais il ne mentionne pas le dumping que l’Europe pratique elle-même, comme le dénoncent des organisations agricoles en Afrique concernant la poudre de lait. 

un silence inquiétant sur le commerce des pesticides interdits

Lors de notre analyse des programmes des parts, le programme du MR avait été jugé très insuffisant sur cette question ainsi que sur son engagement général envers la réduction des pesticides de synthèse, Les Engagés avait, quant à eux, un programme assez ambitieux. 

Dans l’accord, le commerce toxique des pesticides interdits n’est tout simplement pas mentionné alors que la Belgique s’est distinguée par le passé sur ce thème et a un rôle à jouer pour stopper ce commerce au niveau européen. 

En matière de réduction des pesticides, l’accord évoque la continuité d’un plan en cours sans plus de détails, associé au besoin de maintenir la compétitivité des entreprises belges.  Sur ce point, il peut être conclu un manque d’ambition très important. 

Un manque de soutien aux agricultures de petite surface face au changement climatique  

Sur cet enjeu, le programme du MR avait la cote la plus basse, celui des Engagés récoltait une cote moyenne. Ni la question de l’adaptation des agricultures aux changements climatiques en cours ni celle de l’injustice climatique, qui fait que ce sont les pays du Sud, pourtant les moins émetteurs de gaz à effet de serre, qui paie le plus lourd tribut, ne sont mentionnées dans l’accord. 

L’accord développe cependant de nombreux points sur le climat. Mais bien que les engagements environnementaux internationaux les plus importants soient rappelés (Accord de Paris, accord de Kunming Montréal pour la biodiversité), chaque mention du climat et de l’environnement est contrebalancée dans l’accord par le besoin de maintenir la compétitivité. Cette balance entre environnement et compétitivité, combinée à la volonté de lutter contre la surrèglementation, laissent présager des arbitrages systématiquement favorables aux enjeux économiques. 

Si la volonté d’examiner une réforme de la fiscalité pour favoriser les choix durables et les subventions fossiles est intéressante, tout comme l’examen de la sortie du Traité sur la charte de l’énergie, ces mesures restent conditionnées à l’absence d’impact économique négatif, réduisant leur portée réelle. 

Il n’y a donc pas grand-chose qui prenne en compte nos points d’attention sur l’adaptation des agricultures de petite surface face aux changements climatiques, la présence importante de l’enjeu climatique dans l’accord et les propositions visant à défavoriser les choix fossiles font passer le bulletin de largement insuffisant à insuffisant. 

Un accord insuffisant face aux défis alimentaires et à l’urgence de la solidarité internationale

« L’accord ne prend pas suffisamment en compte les leviers politiques qui existent au sein des systèmes alimentaires pour améliorer la santé, l’environnement et les conditions de vie des agriculteurs. Il oublie également de prendre en compte les effets de ses politiques sur les autres régions du monde »

François Grenade, responsable du plaidoyer chez Humundi.

Si certaines mesures intéressantes se retrouvent dans l’accord, notamment pour travailler à une agriculture plus juste pour les agriculteurs et agricultrices de Belgique, pour diminuer certains effets indésirables du commerce international et agir sur les émissions de gaz à effet de serre, force est de constater que l’accord est dans l’ensemble très insatisfaisant par rapport aux priorités identifiées par Humundi pour que tout être humain puisse manger sainement, des aliments de qualités, produits de manière durable. 

L’accord est également largement insatisfaisant en matière de solidarité internationale, dont les objectifs sont remis en cause et les budgets sont fortement réduits alors même qu’ils sont des leviers indispensables pour relever les défis globaux qui affectent aussi bien la vie des Belges que des agriculteurs et agricultrices du Sud.  

Mais cet accord reste à ce stade un compromis entre 5 formations politiques, c’est une feuille de route à opérationnaliser. Humundi veillera, dans la mise en œuvre, à la prise en compte de ses préoccupations. Le soutien des citoyens et citoyennes belges sera plus que jamais nécessaire et précieux !