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6 décembre 2024

MERCOSUR : à la poursuite d’une vielle chimère, mais rien n’est encore joué…

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Le couperet est tombé début décembre. Lors d’un déplacement de dernière minute à Montevideo, en Uruguay, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé la conclusion de l’accord UE-Mercosur. C’est une très mauvaise nouvelle pour les organisations agricoles. Celles-ci dénoncent une trahison des engagements de l’UE envers ses agriculteur·ice·s, consommateur·ice·s et citoyen·ne·s.

Un monde agricole aux abois

L’objectif de l’accord d’association commerciale entre l’UE d’un côté et l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay de l’autre – comportant trois piliers : commerce, coopération et politique – est clair : libéraliser le commerce et retirer les barrières tarifaires qui ont cours entre les deux régions. À titre d’exemple, dans le domaine agricole, sont concernés l’huile d’olive, les vins et spiritueux, les produits laitiers (fromage et lait en poudre)… Il s’agit donc de faciliter l’exportation de produits agricoles à haute valeur ajoutée vers les pays du Mercosur.

En contrepartie, l’UE concède des quotas sur certains produits : 99 000 tonnes de bœuf à 7,5% de droits de douane, 180 000 tonnes de poulet à 0%, 180 000 tonnes de sucre de canne, 450 000 tonnes d’éthanol pour l’industrie chimique, 45 000 tonnes de miel et 60 000 tonnes de riz [1]. Si la Commission se veut rassurante dans sa communication du jour (« Le volume global représente 1,6 % de la production européenne totale de viande bovine et est inférieur à la moitié des importations actuelles en provenance du Mercosur, qui s’élèvent à 196 000 tonnes (2023). [2]»), c’est que le sujet de l’élevage était la pomme de discorde pour la finalisation de l’accord.

En effet, bien que ne représentant qu’une portion réduite du total des importations de l’UE, les importations du Mercosur viennent s’ajouter à une série d’accords avalisés par l’UE ces dernières années : CETA avec le Canada en 2016-2017, le Vietnam en 2020, Nouvelle-Zélande, Kenya et Chili juste pour 2024 pour ne citer que les principaux. Cet effet cumulatif est reconnu par la Commission elle-même [3] : en cas de signature de nouveaux accords (incluant celui avec le Mercosur), la production bovine diminuerait de 9%, les importations grimperaient de 22-24% par rapport à un scénario de base et le ratio importation/consommation se fixerait à 7,5%. En cause principalement les nouveaux contingents accordés au Mercosur[4].

Un modèle économique européen dépassé

En clair, avec cet accord il s’agit d’ancrer davantage l’UE dans un modèle agricole globalisé avec comme corollaire une dépendance accrue aux importations. Exit donc les revendications des agriculteur·ice·s et des éleveur·euse·s face à une dégradation de leurs conditions socio-économiques. Exit aussi les revendications des associations environnementales et des agriculteur·ice·s qui demandent que les mesures environnementales et sanitaires imposées dans l’UE ne soient pas concurrencées déloyalement par des importations ne respectant pas les mêmes normes. Exit enfin les demandes de consommateur·ice·s de bénéficier de produits plus sains sans résidus de pesticides (interdits) ou exempts de maltraitance animale.

Afin de défendre des intérêts industriels européens en déclin, notamment ceux de l’Allemagne, la Commission fait fi des revendications issues du monde agricole et des défenseurs de l’environnement. La Présidente Ursula von der leyen profite aussi de la faiblesse conjoncturelle en France, opposant historique à l’accord, à la suite de la motion de censure du gouvernement Barnier. Elle espère ainsi asseoir sa légitimité et son second mandat en concluant des négociations vieilles de 25 ans. En passant au forceps sur un accord daté, et en le présentant comme inéluctable, elle alimente un sentiment de perte de contrôle des citoyen·ne·s sur la direction de nos sociétés et nourri une perte de confiance dans les décideurs politiques. 

Le combat politique démarre véritablement

Pour la suite, le détail de l’accord sera connu dans les prochains jours, mais il semble que la scission tant redoutée n’ait pas eu lieu. Il restera donc à faire approuver le texte par le Parlement européen, mais aussi par le Conseil de l’UE, ce qui devra se faire avec l’assentiment de l’ensemble des États membres. Nos dirigeant·e·s peuvent donc empêcher que cet accord entre en vigueur. Nous comptons sur l’ensemble des forces politiques belges pour bloquer ce traité anachronique.

À l’heure où la préoccupation de souveraineté alimentaire grandit, où les changements climatiques commencent à faire des ravages dans l’agriculture, il est incompréhensible de renforcer notre dépendance envers le Mercosur et envers son modèle agricole inégalitaire et environnementalement dévastateur. Loin d’être un accord qui prépare le futur, l’accord qui est sur la table renforce la vulnérabilité de l’Union européenne.


[1] Commission européenne, « Factsheet EU-Mercosur on Agriculture », 6 décembre 2024.
[2] Idem.
[3] Ferrari, E., Elleby, C., De Jong, B., M`barek, R. and Perez Dominguez, I., « Cumulative economic impact of upcoming trade agreements on EU agriculture », Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2024
[4] Agriculture Stratégies, « Les impacts cumulés des accords de libre-échange sur les filières sensibles », 5 novembre 2024.