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4 octobre 2024

Réseaux de semences paysannes : faire germer la résistance et croitre l’autonomie

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7 Février 2024, Savigny-sous-Mâlain, Bourgogne. Une trentaine d’agriculteur·rice·s se réunissent pour échanger des semences céréalières. Cette réunion annuelle du réseau français « Blé » est un terrain d’exploration où paysan·ne·s partagent graines, expériences et conseils autour de variétés locales et non conformes. Alors que plus de 50% des semences mondiales sont commercialisées par trois entreprises, ces réseaux de paysan·ne·s résistent aux géants agro-alimentaires pour combattre la réduction drastique de la biodiversité cultivée.

Pourquoi des semences « paysannes » ?

A première vue, l’adjectif « paysan » relève du pléonasme puisque pendant des millénaires, cultiver, croiser et échanger des semences a été au cœur du métier d’agriculteur·rice. Néanmoins, le développement d’entreprises semencières au siècle dernier leur a graduellement dérobé la gestion des semences.Loin d’être une autre étiquette marketing pour reverdir nos supermarchés, les semences paysannes se distinguent par trois principes : (1) les méthodes de sélection, (2) la notion de commun, (3) l’autonomie paysanne.

Ces semences sont sélectionnées et multipliées avec des méthodes non transgressives (pollinisation libre ou sélection massale) et issues d’une co-évolution entre plantes et territoires. Contrairement aux semences conventionnelles, les semences paysannes ne sont pas uniquement choisies pour leur rendement et stabilité mais pour leur diversité et adaptabilité, maintenant ainsi un patrimoine de biodiversité cultivée. Considérées comme des biens communs, elles sont librement échangées et non brevetées et vise ainsi l’autonomie paysanne face aux multinationales semencières telles Bayer ou Syngenta.

Une échappatoire dans l’étau juridique

Au cours du 20ème siècle, le développement d’entreprises semencières, commercialisant des variétés normées au catalogue européen s’est couplé avec un resserrement du cadre juridique semencier, empêchant ainsi les agriculteur·rice·s de librement échanger et/ou vendre des semences. Néanmoins, il reste possible d’échanger ou vendre des semences libres de droit (qui n’appartiennent donc pas aux entreprises) pour un usage « non commercial ». Pour protéger cet interstice juridique, le réseau français Semences Paysannes a mis en place depuis 2003 des veilles juridiques pour informer de tout changement dans la législation et sécuriser ainsi le droit de se procurer des semences non brevetées.

En Afrique, le cadre juridique est moins rigide car il concerne principalement les semences conventionnelles (ex : riz, maïs et tomates pour l’exportation). Hormis la Déclaration sur le droit des Paysans adoptée en 2018 par l’ONU, qui garantit notamment « Le droit de conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme ou du matériel de multiplication », il n’y pas de régulations pour les systèmes semenciers paysans. Certains pays comme l’Ethiopie ont adopté un cadre pour réguler et protéger le droit aux petits exploitants agricoles d’échanger et de commercialiser leurs semences de ferme à petite échelle. Mais ça reste marginal sur le continent. L’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire Africaine (l’AFSA) a ainsi lancé en avril 2024 la campagne de plaidoyer « Ma Semence, ma Vie » pour proposer un cadre juridique sur la promotion, la gestion et la mise en circulation des semences paysannes.

Quels enjeux pour les paysans·ne·s ?

Au-delà d’un éventuel resserrement du cadre législatif en vigueur, les paysans.es et artisans.es semenciers.ières courent d’autres risques juridiques : cultiver une variété paysanne trop proche d’une variété brevetée par un industriel et risquer ainsi un procès ; être victime de biopiraterie, c’est-à-dire l’appropriation illégitime de la biodiversité et des ressources et savoirs traditionnels par des entreprises.

Toutefois, les enjeux des semences paysannes ne se limitent pas à la législation et touchent à préservation de la biodiversité cultivée et à l’héritage culturel du savoir paysan. La lutte contre la mondialisation et l’homogénéisation de notre alimentation est double, car la protection des semences paysannes a aussi un objectif décolonial. En Afrique de l’Ouest, la revalorisation du Fonio et du Sorgho préserve le savoir-faire paysan et les modes d’alimentation traditionnels. De plus, ces semences au matériel génétique varié s’avèrent bien plus résilientes pour faire faces aux changements climatiques.

Ainsi, à travers le monde, différentes organisations paysannes nous invitent à repenser notre agriculture productiviste pour réhabiliter notre lien au vivant, non comme une propriété privatisable et brevetable mais comme un commun et un héritage culturel.

Rédactrice : Laetitia Deletroz

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