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12 décembre 2023

Le bilan agricole de la présidence Tshisekedi

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Faut-il consolider les acquis ou repartir à zéro ? Les Congolais∙e∙s ont ce choix à faire au cours des élections présidentielles, législatives, provinciales et municipales de décembre. Force est de constater que, pour le volet agricole, les acquis sont maigres.

Le budget agricole et rural n’a toujours pas dépassé les 3%, alors que la Déclaration de Maputo sur l’agriculture (2003) engageait la RDC à y accorder au moins 10%. Les lois relatives à l’agriculture ne sont toujours pas appliquées. Les codes minier et forestier ne sont toujours pas harmonisés. Et la RDC est toujours dépendante de l’étranger : au moins 2 milliards de dollars annuels sont investis dans l’importation des produits alimentaires comme le maïs, les surgelés (poulets, poissons) etc.

La Zambie et l’Afrique du Sud à la rescousse

Au début de sa présidence, Félix Tshisekedi avait lancé son Programme d’urgence pour les 100 premiers jours. Certaines points prévus dans le programme concernaient l’agriculture. Les décaissements se firent précipitamment avec l’objectif affiché « de marquer d’une empreinte indélébile les trois premiers mois du président ». Sans préparation préalable, les défaillances étaient à prévoir.

Vital Kamerhe, directeur de cabinet du chef de l’État au début du mandat, sera condamné à 20 ans de prison, puis acquitté en 2022. De retour en grâce, Il devient ministre de l’économie en mars 2023. Une économie toujours à bout de souffle… En mai, à peine remis en selle depuis deux mois, le controversé Vital Kamerhe part à la tête d’une délégation de 9 ministres quémander en Afrique du Sud et en Zambie. La souveraineté alimentaire de la RDC est en berne. Il faut aller négocier avec les producteurs d’Afrique Australe, tout en leur accordant une remise des droits, taxes et redevances sur l’importation de céréales et d’intrants.

Sylvain Ntumba, secrétariat permanent du CNPAF, le Comité national pour la promotion de l’agriculture familiale, commente : « C’est une crise qui nous a confronté à ce que nous avions fait de notre agriculture pendant tout ce temps. Il faut s’interroger sur la volonté du pouvoir d’organiser autrement l’agriculture. »

Selon le professeur Billy Bolakonga, enseignant à l’Institut facultaire agronomique (IFA Yangambi), il reste atterrant que des ministres d’un pays gâté par la nature aillent demander un appui alimentaire « dans des pays plus arides ».

Et la recherche d’alternatives agroécologiques ne transparait pas dans les propos pro-OGM et pro-pesticides de Peter Kasongo Batuse, le conseiller principal du collège agriculture, pêche et élevage à la présidence de la République. Au terme de sa participation à la délégation en Zambie et en Afrique du Sud, il a déclaré :

« En Afrique du Sud, ils ont des rendements bien supérieurs. Là-bas, certains utilisent des organismes génétiquement modifiés et atteignent 8 tonnes l’hectare. Certains utilisent des engrais, des pesticides avec respect des normes environnementales, le rendement varie entre 4 et 6 tonnes l’hectare.»

En finir avec les slogans qui sonnent creux

En référence aux richesses minières de la RDC, les autorités politiques, durant l’entièreté du mandat de Felix Tshisekedi, ont plaidé pour une «revanche du sol sur le sous-sol», en référence à leurs ambitions en matière d’agriculture.

Pour autant, assure Sylvain Ntumba, « il ne faut pas se cantonner aux slogans ». Simplex Malembe, le chargé de plaidoyer de la CONAPAC (Confédération nationale des Producteurs agricoles du Congo) s’interroge :

« Où sont les résultats concrets de cette revanche, alors que la RDC continue à importer de la farine de maïs ? Nous continuons à acheter du poisson, du poulet etc. chez nos voisins.  Quels sont les vrais programmes de revanche du sol sur le sous-sol qui ont été mis en œuvre ?»

Le pouvoir rétorque que du maïs est produit à Nkuadi, dans le centre du pays, dans le cadre des 5 parcs mis en place avec une entreprise belge. En tout, 5 mini-parcs agro-industriels ont été activés. Sylvain Ntumba se demande quelle est la place qui y est réservée aux agricultures familiales :

« A Nkuadi, c’est le maïs. Dans le Congo central, la production du riz. Il y a quelques spéculations dont la population a besoin, mais quelle est la place laissée aux petits exploitants ? Ces grands investissements peuvent-ils aider des petits exploitations à se transformer, en offrant en échange des conditions équitables à la paysannerie ? »

Le pouvoir brandit le cas de Kaniama Kasese, dans le centre du pays, où des Kulunas, des enfants de la rue de Kinshasa, sont reconvertis en agriculteurs. « Nous avons toujours dit que Kaniama Kasese n’est pas une entreprise agricole », s’offusque Simplex Malembe. « C’est un centre de formation, qui est subventionné. Si vous en analysez les coûts et les bénéfices du point de vue d’un entrepreneur agricole, vous en conclurez que ce centre ne tardera pas à fermer. »

les points positifs

Sylvain Ntumba, du CNPAF, énumère quelques-uns des points qui lui semblent positifs pour le président Tshisekedi :

« Quand il organise et prend part aux concertations nationales et internationales sur les systèmes alimentaires. Quand il adhère à la décennie 2019 – 2028 des Nations unies pour l’agriculture familiale.  Quand j’entends ses déclarations en faveur de la transformation agricole. Il semble avoir une opinion sincère en faveur d’une agriculture qui contribue effectivement à l’emploi et qui reconnait la place des organisations paysannes ».

Le professeur Bolakonga voit également du positif. Pour y avoir participé, avec l’appui du Ministère de l’Agriculture, l’universitaire note l’élaboration d’un document de politique agricole durable (1) :  

« Il y a aussi eu des initiatives intéressantes, comme la création de la réserve stratégique pour les situations d’urgence et de catastrophes. Mais, cette réserve est restée un lieu de collecte des produits au lieu de dynamiser la production. Et ça n’a fonctionné, selon mes informations, qu’à Kinshasa et peut-être un peu dans les provinces du Congo Central et du Bandundu.»

L’autre point positif, toujours selon le professeur Bolakonga, est l’idée de favoriser la substitution de la farine de blé par la farine de manioc :

« Cette idée peut booster les revenus de nos producteurs de manioc et diminuer notre dépendance en blé importé. Malheureusement, c’était du bluff, un effet d’annonce :  jusqu’à aujourd’hui notre pain est produit à 100% sur base de la farine de froment. Néanmoins, l’idée était bonne. Elle a activé les chercheurs de l’université de Kinshasa, en collaboration avec la recherche internationale. »

La « vision » pas mise-en-œuvre »

« Le document de politique agricole durable ne sera pas mis en œuvre », prédit Simplex Malembe. « Au Congo nous sommes très riches en production des documents mais très pauvres en matérialisation », commente-t-il.

« Dans les faits, l’agriculture n’a pas bénéficié de l’attention qu’on lui accorde en paroles. Les actions concrètes, comme la relance de campagnes agricoles, n’ont bizarrement lieu qu’à quelques encablures des élections. Aujourd’hui, on veut la compétitivité. Mais la compétitivité voudrait que l’on puisse produire mieux ».

 Confronté à ces critiques, le professeur Peter Kasongo Batuse conseiller principal du président de la République affirme :

« C’est vrai, nous devons le regretter».

Il ajoute :

« Nous avons l’obligation d’ apporter des réponses à ces préoccupations. Le budget alloué à l’agriculture est faible. Mais il faut juger en regardant l’ensemble du tableau. Il faut donc également prendre en compte la volonté du chef de l’État de mettre à l’avant plan le Programme de développement local des 145 territoires, une initiative visant à améliorer le cadre de vie des populations rurales  (2). Ce programme prévoit de construire des milliers de kilomètres de ces routes de desserte agricole. »

Des motifs d’auto-satisfaction repris par le président dans son bilan et qui font réagir. Ainsi, sur les réseaux sociaux, de nombreux Congolais calment les ardeurs des partisans du pouvoir concernant les routes. Images à l’appui, ils ont montré l’état de délabrement très avancé de certains tronçons routiers, notamment dans l’est du pays et au Sud-Kivu. Des tronçons que les autorités affirment avoir asphaltées.

Merveille Kakule Saliboko

(1) Document de politique agricole durable de la RDC

(2) Programme de développement local des 145 territoires